Texte & Photos : Baudouin Jager

Au moment où j’écris ces lignes, je suis en train de vivre mes dernières journées dans ma ville natale, Bordeaux, avant de déménager pour Grenoble. C’est l’occasion idéale pour rendre hommage à cette ville : laissez-moi vous embarquer faire un tour de la cité girondine avec Nicole, ma Motobécane M7 « Spécial » et venez découvrir le meilleur de sa culture automobile.

Chapitre 1 : Se lever tôt pour éviter la chaleur et les touristes

A Bordeaux, il fait aussi chaud qu’ailleurs. L’humidité, c’est autre chose : la ville ne s’appelle pas « Bord eau » pour rien ! Coincée entre l’océan atlantique à l’Ouest et la Garonne à l’Est, l’atmosphère en été est intenable. Le meilleur moment pour profiter du centre-ville, c’est le matin.

Il est tôt le matin. Je me lève pour lancer la cafetière, prendre une douche et me préparer. Je fais le plein de tartines puis de sans-plomb, je mets mon casque et mes gants, puis je sors ma mobylette du jardin. Je pédale quelques mètres dans la rue pour ne pas réveiller ma famille, avant de démarrer. Pas besoin de faire chauffer le moteur l’été ; en dix minutes je suis dans le Triangle d’Or, le magnifique centre historique. J’avais l’habitude d’emprunter ce trajet pour aller en cours ; aujourd’hui je peux m’arrêter observer le lever de soleil sur les quais. Je me gare Place de la Bourse, en face du Miroir d’Eau, qui à cette heure est désert. Les nuages oranges du lever de soleil se reflètent sur la fine pellicule d’eau recouvrant l’un des plus beaux monuments de ma ville. Je fais une photo de Nicole, puis j’enfile de nouveau mon casque.

Quelques minutes après, je suis en bas de ma deuxième étape : le parking Victor Hugo. Au premier abord, ça n’a pas l’air d’être le plus glamour des lieux à visiter à Bordeaux. Néanmoins, c’est sûrement un de ceux qui offre la plus belle vue. Le dernier étage, à ciel ouvert, est vierge en été et offre une magnifique vue sur la Grosse Cloche. Les plus grands clochers s’élèvent au-dessus des toits en tuile ; on peut voir la Colonne des Girondins et les autres imposants monuments Bordelais. Je parcours les lieux pour préparer un shooting plus tard dans l’été. Avant que le soleil ne monte trop haut, je prends une deuxième photo de Nicole, puis je descends dans la rue.

Chapitre 2 : Le meilleur rassemblement du sud-ouest

Je me déplace à peine depuis une minute que je dois à nouveau couper mon monocylindre. Le Pont de Pierre est interdit aux voitures et les deux-roues ne peuvent pas le traverser au moteur, donc je pousse ma mobylette. Les joggers et touristes me regardent et se demandent qui est cet énergumène tombé en panne en plein centre de Bordeaux. Deux longues minutes plus tard, rive droite, je passe devant ce qui est maintenant mon « ancien » IUT avant de me retrouver face aux grilles de Darwin. Ce lieu, une ancienne caserne du régiment du train, a été transformé au cours des dix dernières années en un endroit branché : des expos et festivals de musique s’y déroulent régulièrement. On peut y trouver du street art, un magasin bio, un bike shop ou encore un skate-park. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est ce qui s’y passe tous les premiers dimanches du mois.

Le Bordeaux Classic Day, organisé par l’asso Atlantic Oldtimer, est réservé aux véhicules produits avant 1987. La chance, Nicole étant sortie de son usine de Bobigny huit ans avant la date limite, je peux rentrer. Double chance, il n’y a personne à l’entrée pour me dire de me garer sur le côté, le long du grillage. Je vais au bout de l’allée centrale et passe devant les voitures déjà garées tout du long avant de me faufiler entre les Porsche, Mustang et Méhari derrière. Je repère l’alter égo italienne de Nicole à côté de laquelle je décide de me garer.

Elle aussi est rouge, propulsion, avec un puissant moteur central : c’est une Ferrari Testarossa, que j’ai choisi d’appeler Nicoletta. Je sors le Nikon que mon père s’est offert il y a maintenant vingt ans, je charge une pellicule de Kodak ProImage 100 et je visse mon polarisant : la chasse peut commencer. Ce rassemblement mensuel peut s’apparenter à un paquet de cartes Panini. On retrouve en majorité des voitures basiques, mais parfois on peut avoir un coup de chance et tomber sur quelque chose d’exceptionnel – ici, une Lancia Flaminia Zagato bleu ciel. Mamma mia, che bella ragazza ! Je compose, je patiente, je déclenche, puis j’avance ma pellicule. Je veux faire les choses doucement. Avec l’argentique, j’ai appris à faire attention à ce que je prenais en photo.

Darwin tient une place très importante dans ma vie bordelaise. Tous les mois, qu’il vente ou qu’il neige, je m’y rends. C’est ici, avec mon frère, mes amis et les différents participants, que j’ai développé et cultivé ma passion pour l’automobile ancienne. C’est aussi ici que j’ai appris les règles de la photo et que je me suis perfectionné. Le cadre, mêlant carrosseries anciennes et art moderne est unique et magnifique, mes souvenirs resteront fabuleux.

Maman m’appelle, le déjeuner est prêt : il est temps d’enfiler encore une fois mon casque et de me diriger vers Caudéran.

Chapitre 3 : Pessac Automobiles

Haut lieu de l’automobile ancienne à Bordeaux, Pessac Automobiles est un showroom et atelier de mécanique à Bègles, non loin de Bordeaux. L’enseigne des Lafont est un des endroits où je préfère passer mon temps libre. J’y passe souvent faire des photos, réparer quelques bricoles sur Nicole, ou venir rigoler avec mes amis. C’est là où j’ai effectué mon premier stage à l’IUT et c’est grâce à eux que j’ai compris que je voulais à tout prix travailler dans l’automobile ancienne. Les membres de l’équipe, M. et Mme. Lafont, leur fils Maxime, Clément et Frédéric sont maintenant devenus des amis.

J’arrive devant le showroom, et je vais directement me garer derrière, à l’Atelier. Après avoir vu la vitrine, passer derrière pour rejoindre le parking est toujours un moment plein de suspense : on est toujours surpris par un véhicule sur le goudron ou sur un pont. Cette fois, c’est une Lotus Cortina. Je suis accueilli par Clément et Frédéric dans l’Atelier, puis je rentre dans le showroom poser mon sac et dire bonjour à M. Lafont et son fils Maxime. Il me sert un café, on sort parler dehors. J’y suis comme à la maison. Je peux poser toutes mes questions un peu débiles aux mécaniciens, rentrer dans des voitures, en bouger quelques-unes pour faire des photos.

C’est avec eux que j’ai découvert le Circuit des Remparts à Angoulême, où Thierry Lafont tourne souvent en Bugatti d’avant-guerre. J’ai pu rouler avec lui en Cobra pendant que mes amis à l’IUT passaient des partiels, et j’ai été initié aux essais post-réparations d’autos conduite à droite, à des vitesses disons, excitantes, sur la rocade. Ce sont tant de souvenirs qui resteront gravés à jamais. 

Chapitre 4 : Dernier tour dans Bordeaux

J’ai passé trop de temps chez Pessac Auto. Mon pote Vincent m’appelle : « allo bdj ? toujours chaud pour ce soir ? ». En retard pour l’apéro, je remonte sur Nicole, je sangle mon casque, et j’enfile mes gants sales. Leur cuir a été noirci par une réparation improvisée de mon échappement. J’ouvre l’essence, je pédale frénétiquement pour entraîner mon moteur, et je dis au revoir à mes amis de Pessac Auto à coup de klaxon.

Sur les boulevards, j’essaye de me souvenir de l’itinéraire que j’ai mémorisé cinq minutes plus tôt au garage. Je me trompe de sortie ; pas grave, je vais improviser. Sans la moindre considération pour ma consommation je fonce dans les ruelles de Saint-Genès. Bien déterminé à arriver à l’heure, je tente des raccourcis hasardeux : je passe de rues piétonnes à des rues à pavés. Ma souple suspension avant et arrière essuie les coups des irrégularités dans le goudron sans problème : je rebondis sur ma selle à chaque montée et descente des ralentisseurs. Ce n’est pas très confortable, mais ça a de la gueule. Je passe Place de la Victoire puis sous la Grosse Cloche. Les touristes se poussent rapidement au bruit de mon moteur. À la Cathédrale Saint-André, je choisis de suivre les rails du tramway. Il ne pleut pas, je ne risque rien sur les dalles en marbre du centre-ville. Je suis le tramway jusqu’à la Place des Quinconces et sa Colonne des Girondins, point de départ des Traversées de Bordeaux en ancienne. Je prends de nouveau les quais, puis je plonge dans les Chartrons. Je trouve le resto où Vincent m’attend depuis maintenant quinze minutes et je me gare devant. Pas de vin rouge ce soir, je conduis ! On parle de Grenoble et je lui raconte mon désespoir de devoir me séparer de Nicole pendant des longs mois l’hiver : hors de question de l’emmener dans les Alpes. La conversation dérive, ils ne peuvent plus m’entendre parler de ma Motobécane.

Après ce merveilleux magret de canard, je décide de rentrer à la maison. Je commence les cartons demain, il faut se lever tôt. Le fond de l’air est chaud, mais la vitesse me rafraîchit. Les ruelles sont éclairées, fort heureusement : mon phare jaune ne porte pas très loin. Sur le trajet je pense à tout ce que j’ai vécu ces dix dernières années à Bordeaux. C’était des moments fabuleux dont je garde des précieux souvenirs. Je pense ensuite à ceux que je vais me forger l’année prochaine et durant mes prochaines années d’études. Mais quelque chose me tracasse. Comment vais-je me débrouiller pour emmener Nicole au Cap Ferret sans tomber en panne, et surtout comment vais-je réussir à la protéger du sable et du sel ? On n’est jamais en vacances avec une mob’. Affaire à suivre…