Vendredi 31 Janvier 2020, 8h.

Le réveil sonne. C’est le jour J. 

Plus de 6 mois que j’attends ce moment avec impatience. Je vais participer à mon premier Enduropale du Touquet, en catégorie vintage, dédiée aux motos pré-1996. L’Enduropale du Touquet c’est quoi ? C’est une course organisée depuis 1975 où des centaines de furieux qui se lancent sur une plage à plus de 140km/h, en même temps, qui lèchent l’écume de la marée montante, pour enchainer ensuite sur un parcours technique, piègeux, sableux, où des dizaines y laissent leurs montures (dans le meilleur des cas) chaque année. C’est le froid, c’est les chutes, c’est le sable à perte de vue, c’est l’enfer et le Nirvana à la fois.

Au petit-déjeuner, c’est un mélange d’excitation et d’appréhension qui parfume l’habituelle tartine de pain. Les discussions avec mon fidèle ami Thibault Batisse tournent autour du parcours que nous avons reconnu la veille. Un circuit rapide de 7 kilomètres de sable orné de bosses, d’ornières et de diverses difficultés. Thibault et sa KTM 350 portent le numéro 283 tandis que mon maillot blanc et noir affiche le 290.

Pas le temps de tergiverser, nous devons à 10h installer notre espace dans le parc d’assistance, dans lequel nous effectuerons les ravitaillements. Par la suite, nous devons nous équiper et nous rendre au parc fermé, où les motos sont regroupées depuis la veille, à la sortie des vérifications techniques.

A l’entrée du parc fermé situé dans le centre ville, c’est la cohue. Les pilotes casqués attendent avec impatience. La tension est palpable. Les barrières s’ouvrent, tout le monde s’empresse de rejoindre sa monture. La mienne est une Honda CR250R de 1989, identique à celle utilisée par Jean-Michel Bayle lors de son sacre de champion du Monde. 

La procédure de départ est la suivante, nous devons rejoindre la plage en convoi derrière la voiture de sécurité. Une fois arrivés sur la plage, plein gaz jusqu’à la ligne de départ où les 600 pilotes sont regroupés. L’atmosphère dans la parc fermé est suffocante, les moteurs, deux-temps pour la plupart, rejettent une forte odeur d’huile. Une fumée bleue flotte sur le groupe et l’air est irrespirable. Le speaker nous fait part des directives de sécurité en français et en anglais. C’est long et je n’ai qu’une hâte, prendre le départ. 

Après 15 minutes, c’est parti, en convoi, doucement, nous sommes en route pour rejoindre la plage. Beaucoup de spectateurs sont alignés le long des barrières qui bordent notre parcours. L’excitation est à son comble. Je roule prudemment, l’adhérence des pneus sable sur l’asphalte mouillé est plus que limitée et il serait dommage de tout gâcher en tombant avant même de prendre le départ. Dernier virage avant l’arrivée sur la plage, tout le monde s’affole. Si tôt les deux roues dans le sable, c’est poignée dans l’angle pour rejoindre la ligne de départ dans une position favorable. Nous sommes déjà au coude à coude alors que la course n’a, officiellement, pas commencé. La suite s’annonce folle.

Ça y’est, je suis sur la ligne de départ. Le moteur éteint pour éviter une surchauffe inutile, je prends le temps de respirer un grand coup. Le sable tremble sous mes pieds, je peux sentir les moteurs des concurrents vibrer. C’est un moment magique. 

 

Panneau 15 secondes, un bref coup de kick, mon moteur s’élance. Le temps se suspend, ces 15 secondes me paraissent une éternité. Première vitesse enclenchée, moteur dans les tours, le souffle coupé. La roue arrière du pilote qui me précède soulève une gerbe de sable, c’est le moment. Je lâche l’embrayage. Première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, la vitesse augmente rapidement. La sensation est indescriptible, faire partie de cette horde de pilotes lancée à pleine vitesse sur le sable est fantastique. Je m’allonge le plus possible sur la moto dans une position aérodynamique tout en essayant de garder mon cap. La moto bouge énormément et je sais qu’une chute à cette vitesse pourrait être extrêmement violente, mais j’essaye de grappiller quelques km/h supplémentaires. 

Au bout de quelques secondes magiques, la ligne droite est avalée, et j’aperçois déjà le premier virage en épingle. Freinage. Nous sommes de nombreux pilotes espacés de seulement quelques centimètres, des gerbes de sable volent de tous les cotés et me fouettent, ma moto et moi. Rapidement, des grains se collent sur mon masque et ma vision se dégrade. 

 

Le spectacle auditif n’est pas en reste. Dans mon casque résonnent les rugissements de mon moteur deux-temps à la sonorité spécifique, lancé à 8000 tours/minute. Les virages et les bosses s’enchainent non sans difficulté. Le sable est une surface ultra physique et mes avant-bras me le rappellent vite. 

Je boucle mon premier tour, puis le deuxième, il est temps d’effectuer un ravitaillement pour ne pas risquer la panne d’essence. Je sors du circuit pour rejoindre mon stand. Des amis et mon père m’attendent. Ils s’occupent de remplir mon réservoir tandis qu’on me jette de l’eau sur le masque pour me nettoyer. Arrêt éclair, c’est reparti. 

« Le temps se suspend, ces 15 secondes me paraissent une éternité. Première vitesse enclenchée, moteur dans les tours, le souffle coupé. »

Sur le bord de la piste, nombreux sont les pilotes malchanceux à avoir ôté le casque en raison d’une casse mécanique ou, pire, à cause d’une chute. Ma Honda ne faiblit pas, et je prends un plaisir fou à son guidon. 

 

Le troisième tour est derrière moi. Après une série de vagues de sable, je m’élance dans le 4ème tour et la ligne droite. La mer a très largement entamé sa remontée et la piste ne fait plus que quelques mètres de large. Des nappes d’eau sont déjà sur la piste, et les franchir à plus de 120 km/h me donnent l’impression d’être un funambule tant l’équilibre est compliqué à garder. Je comprends qu’il s’agit très certainement de mon dernier tour de course. C’est le cas, quelques kilomètres plus loin, j’aperçois déjà le drapeau à damiers. La course a été écourtée, 50 minutes au lieu de l’heure prévue initialement. 50 minutes qui se sont écoulées en un clin d’oeil.

Je rejoins mon stand fatigué mais ô combien heureux d’avoir terminé cette course réputée compliquée sans encombre. J’enlève casque et gants, la course est finie. Mon père a l’air ému. Quelques secondes après, Thibault me rejoint. Juché sur sa vaillante KTM de 1986, il a fait le travail également, et termine fièrement l’édition 2020 de cet Enduropale. 

Le classement me placera plus tard à la 266ème place sur 600 pilotes engagés. Satisfait de ce classement pour une première participation, je reviendrai en 2021 avec pour objectif de faire mieux.