La tête dans le cul
La tête dans le cul est un projet initié et réalisé par Soufyane. Ce fondu d’automobile et de design a entrepris de transformer les bolides en s’abstenant de garder ce qu’il y a entre les deux roues. Le rendu est tout aussi amusant que surprenant, et chaque œuvre nous permet de découvrir des classiques sous un angle différent. Nous avons souhaité nous entretenir avec Soufyane, afin d’en savoir un peu plus sur ses incongrus travaux !
VAGO – Salut Soufyane. Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Soufyane – Je suis journaliste auto’, depuis 2011. J’ai commencé sur Leblogauto.com, puis j’ai fait des piges pour pas mal de rédac’, et dernièrement je suis rédacteur en chef d’un magazine, Génération Électrique. C’est tout nouveau, pour le moment c’est un trimestriel publié sur papier. On parle d’électrique, d’hybride rechargeable et conventionnel, on fait la rédaction de dossiers…
VAGO – Rien à voir avec du design alors ! Avais-tu des notions avant de te lancer dans ton projet ?
Soufyan – Pas du tout ! Le seul diplôme que j’ai, c’est un Bac +2 en commerce international. Rien à voir ! (rire)
V – Alors, d’où t’est venue cette idée ?
S – Eh bien en fait, dans mon boulot de journaliste, je faisais beaucoup d’illustrations automobile. J’imaginais des modèles qui n’avaient jamais ou qui pourraient exister. Par exemple, quand la nouvelle 508 est sortie, j’ai imaginé et dessiné un modèle coupé et cabriolet, ce qui permettait de lancer des rumeurs, ou simplement de digresser. Puis en bidouillant, je me suis essayé à cette idée saugrenue avec une McLaren P1. Je ne sais pas expliquer la raison, pourquoi ça m’est passé par la tête… Mais je me demande si ce n’est pas d’avoir vu des mecs faire des remorques avec des arrières de voiture qui m’a inspiré ça ! C’est une idée qui est venue comme ça en fait !
V – On est curieux, mais comment procèdes-tu ?
S – Au départ, vu que c’était uniquement un délire, je prenais une photo et je la découpais sur Photoshop. Mais maintenant, je m’applique à travailler en vectoriel. Je pars d’une page blanche, c’est chronophage mais j’ai plus de liberté ! En vectoriel, je récupère une photo et je découpe. Après je fais une forme unie et je joue avec les calques du logiciel. Et ça donne du volume au 2D. C’est comme faire du coloriage, et ça donne du volume. En utilisant mon montage photo comme modèle, je crée mon image en traçant par dessus. Je superpose les calques pour créer les ombres et les reflets de la carrosserie, afin de donner de la profondeur à l’image, du volume.
V – Ça ne doit pas être évident de tracer ces reflets, de trouver les bonnes formes, les bonnes ombres ?
S – Non c’est vrai, je me documente avant, je regarde beaucoup de photos pour bien comprendre les formes de la voiture et comment elle réagit à la lumière. J’essaye ensuite d’adapter !
V – Et on a tendance à préférer le rendu provenant du vectoriel, toi aussi ?
S – Pour vous dire, à la base c’était un délire, mais j’avais en tête de faire du vecto’, c’est certain. En montage photo, ça me prenait un peu moins d’une heure par voiture, alors qu’au début je passais une bonne vingtaine d’heures pour une image vectorielle ! Maintenant, j’arrive à aller plus vite, et j’en passe une bonne dizaine. La moitié pour faire le corps de la voiture, et après je passe beaucoup de temps sur les roues.
V – En effet ça prend du temps ! Quand as-tu commencé ?
S – Ce n’est pas une blague, et ce n’était pas fait exprès, mais mon premier dessin date du 1er avril 2017 ! (rires) Le vectoriel cela fait un an et demi, peut-être deux ans. Mais je n’oublie pas le montage photo, d’ailleurs quand c’est des nouveautés je fais avec, mais c’est beaucoup plus rare.
V – Donc ça t’arrive de surfer un peu sur l’actualité ?
S – Oui c’est amusant ! Parfois je profite même d’avoir l’embargo, avec les photos presse, et dès qu’on a le droit de publier, je sors aussi ma version. C’est marrant, les gens aiment bien, puis ça donne un peu de dynamisme ! Je ne fais pas la course à l’audience, mais je vois que j’interagis beaucoup plus avec ce genre de publication !
V – En avançant l’hypothèse que l’identité de la voiture est définie par l’avant et l’arrière, il n’y aurait pas là une sorte de lien esthétique ?
S – Non même pas, vraiment au début c’était un délire ! Je ne suis pas allé si loin… Par contre, les recherches esthétiques viennent avec le temps, et au fur et à mesure des créations. Ce qui est amusant, c’est de voir les disproportions entre les deux extrémités : quand on enlève le milieu alors ça peut devenir choquant en termes de design.
V – Ah oui, comme avec certaines Ferrari !
S – Oui c’est vrai ! Si la voiture est entière, ce n’est pas choquant. Mais par exemple, la Enzo possède un museau très long !
V – En parlant de la Enzo, maintenant qu’on a vu ta version, on a peur de ne plus voir la vraie de la même manière. Tu as déjà constaté une petite déformation de ta vision ?
S – Oui, les voitures je ne les vois plus que de manière condensée ! (rires) Ce qui est marrant c’est que je fais aussi des maquettes. La 3D m’intéresse beaucoup, avec les lignes au niveau des ailes qui sont plus complexes. C’est plus compliqué qu’en 2D.
V – Ton idée de découper une bagnole, en fait ça te permet de découvrir d’autres univers ?
S – C’est ça ! La 3D est toujours dans mes projets, mais je manque de temps. Et si on ne pratique pas tout le temps c’est dur d’apprendre ! J’avais essayé d’en faire, car la 2D tourne vite en rond au bout d’un moment. Je tente des trucs, de temps en temps ! Le vectoriel je n’y connaissais rien. Je me suis lancé, j’apprends toujours, et j’ai essuyé quelques échecs. J’essaie de me dégager du temps, 10 à 15 minutes par jour. D’ailleurs avant qu’on s’appelle j’en réalisais une !
V – Tu nous parles 3D « virtuelle », mais tu fais aussi des maquettes ?
S – Oui c’est vrai ! Les maquettes c’est un délire, un passe-temps. Ça permet de passer sur du réel, sur de la 3D en s’affranchissant de la technique informatique. Ce qui est drôle c’est qu’il y a des gens de l’autre bout du monde qui m’en envoient. Notamment une Skyline Nissan GT-R qu’on m’a envoyée du Texas ! Mais attendez… (Soufyane part quelques instants et revient avec une maquette) C’est une maquette à monter soit même que j’ai traficotée dans mon coin ! C’était amusant, puis j’en ai fait de plus petites à partir de modèles télécommandés !
V – Dans ton travail, ce qui est surprenant, c’est la palette de voitures représentées. Il y a des supercars, des populaires, un peu de customisées. Ce sont tes choix et ça représente tes goûts, ou il arrive que tu aies des demandes ?
S – Il y a un peu des deux ! Des gens me donnent des idées, et des fois ce n’est pas forcément parce que j’aime la voiture, mais plus par défi, parce que j’ai envie d’essayer à faire coller les lignes. Par exemple, la série avec les voitures d’avant-guerre, ça changeait des supercars très modernes. Puis c’est un travail diffèrent, la roue avant est dissociée de la carrosserie, donc ce n’est pas la même chose.
V – Oui ça nous a surpris ! C’est beaucoup plus fin !
S – Oui, le design n’est pas le même, on voit l’évolution de l’automobile au fil du temps. C’est comme les vieilles Citroën, ou les voitures du studio Bertone. Souvent les arches de roues sont taillées en biseau, ou sont carénées à l’arrière. Là je bosse sur une Diablo, ce n’est pas symétrique et c’est bizarre.
V – Du coup, c’est plus le « casse-tête » ou le rendu final qui t’intéresse ?
S – Maintenant, c’est plus évident d’imaginer le rendu avant de commencer car j’identifie plus aisément les raccourcis à prendre. Mais oui, ce qui m’intéresse le plus c’est le travail qu’il y a derrière. Comment adapter la forme, et se demander si à l’échelle 1 ça serait possible.
V – Ça pourrait être drôle une échelle 1 ! Pour ce faire, as-tu vocation à bosser avec des marques ?
S – J’aimerais bien ! Mais mon idée c’est de trouver quelqu’un capable d’en faire une à l’échelle 1 ! C’est le but ultime pour moi !
V – C’est une question un peu brute, mais si des gens veulent avoir une tête dans le cul dans le salon, proposes-tu des œuvres à la vente ?
S – Pour le moment ça reste confidentiel, mais j’ai des demandes ! Je travaille actuellement sur une boutique, avec la plateforme Red Bubble qui propose différents supports pour que les intéressés puissent se procurer mon travail. En impression, sur quelques objets… Je communiquerai dessus prochainement !
V – On peut imaginer du sur mesure alors ?
S – Oui évidemment ! Pour chaque voiture j’ai différentes versions. C’est l’avantage du vectoriel d’ailleurs, je peux changer la couleur de tel ou tel accessoire, ou de la carrosserie. Par exemple pour la GT-R50 ItalDesign, j’ai deux couleurs possibles, avec des accessoires en carbone ou en satin. Le vectoriel me permet de faire ce que je veux en termes de configuration.
V – Et t’arrive-t-il de réaliser des montages en te lâchant, toi et ton imagination ?
S – Ah oui ! Les petits trucs loufoques m’amusent ! Par exemple j’ai voulu faire la Countach LP400, j’ai essayé avec le kit Liberty Walk, et ça rend bien !
V – D’ailleurs cette Countach, si on regarde rapidement on pourrait croire à une Miura !
S – Oui c’est un aspect du design que je retrouve beaucoup. Entre les voitures on retrouve toujours des liens de parenté dans les lignes. Je zoom beaucoup dans les détails pour faire les dessins, et je découvre sans arrêt des rappels aux modèles antérieurs.
V – La tête dans le cul, c’est transgressif comme nom ?
S – À la base c’était pour la publication sur Facebook de la première réalisation, puis c’est resté ! C’est assez marrant, quand des marques partagent mon travail, car je me demande toujours si les communicants comprennent la signification (rires). Il y a quelques temps Porsche a relayé un de mes dessins, et ça m’a bien amusé ! Si tu philosophes un peu, en anglais avoir la tête dans le cul c’est « hangover », et le porte à faux d’un voiture, ce qui fait finalement l’objet de mon travail, c’est « overhang », donc l’inverse. Ça amène à réflexion au final !
V – Pour finir, notre traditionnelle question, que signifie VAGO pour toi ?
S – C’est la voiture en argot non ? Mais ça me fait penser à la définition du concept de la voiture des jeunes, la 106, la VAGO de base. Y’a VA, et GO, les deux langues, de la dynamique. Et ça me fait penser pendant qu’on parle, à wagon aussi, voiture, enfin ça fait une boucle ! J’aime bien les acronymes, mais je n’ai rien trouvé avant qu’on débute notre échange ! (rires)
Retrouvez le travail de Soufyane sur son compte Instagram : instagram.com/latetedanslecul