
Ce n’est pas le radeau de la méduse, et nous naviguons plutôt sur les belles petites routes qui nous entourent plutôt que sur la mare des canards. Relâchement d’un temps, il est certain que nos retrouvailles ne sont pas de la grande littérature. Nos moments entre copains sont les heures rêvées pour rouler, se taper fort sur le ventre et foncer, toutes voiles dehors, vers un bon troquet. Là, nous pourrions garer nos bécanes, boire un coup et se marrer. L’esprit du Mou du Guidon, résumé en quelques mots, c’est du Brassens.
Chaque année, depuis 2014, notre groupe d’amis se retrouvent pour passer quelques jours en petites cylindrées. Très petites cylindrées. L’occasion de retrouver ceux qu’on voit peut-être qu’une fois dans l’année, mais qui n’en donnent jamais cette impression. Aussi, grâce aux engins que nous chevauchons fiévreusement, le temps de retrouver l’époque où nous étions mineurs, loin des tracas de la vie d’adulte. Crise sanitaire oblige, cette année nous nous retrouvons pour un week-end de Septembre avec comme objectif la découverte de la région de Didier (Il s’appelle Léo, mais son alter-ego a pris le dessus). Après avoir usé les routes du Morvan, de la Forêt d’Othe, de la Puisaye, après avoir traversé le Rhin pour rouler en Forêt Noire, nous voilà à l’assaut des vignobles Bourguignons. Entre Dijon et Beaune, le cépage de cette année risque d’avoir un arrière-gout de deux temps.
Louis arrive au local un peu avant manger. Nous sommes encore loin de Dijon alors que le moteur de Raymonde, ma fidèle Mobylette, est en pièce sur l’établi. Nous devions nous retrouver chez moi, dans le Nord de la Bourgogne, pour la charger dans le monospace et tracer la route jusqu’en Côte d’Or. Malheureusement, la faute à l’agenda, j’ai entrepris les travaux trop tard. Alors qu’un joint de culasse aurait pu suffir à redémarrer mon moteur affuté, il s’avère que le cylindre et le piston ont eu envie de sceller leur union. Mariage consommé, c’est non sans une pointe de déception que je me remonte un moteur neuf mais à la cylindrée d’origine. Au moins Raymonde roulera, et ce n’est pas cette année que je devrais lui faire une infidélité. Direction Dijon.
Nous arrivons tard dans l’après-midi, le soleil commence à tomber et Didier nous annonce que nous devons rallier le camping ce soir, en brêle. Adieu joli rodage, le devoir nous appelle. Nous quittons la ville vers les vignes.
L’ambiance est bonne : un énorme boulevard au milieu d’une zone d’activité déserte, des lampadaires nappant l’asphalte d’une lumière ocre. Il est certain que toute l’équipe se prend au jeu, on a l’impression d’être dans un film. Ambiance sûrement américaine alors que nous évoluons sur nos Peugeot et Motobécane. Brice nous surclasse avec son XLS, Didier, Yves et Louis sont kités et la 103 de Loïc, bien que d’origine, a la santé. Je réalise rapidement que ma brêle est la plus lente… Chaque année il y a un casse-pied dans le groupe, toujours en panne, trop lent, ou qui n’a pas d’éclairage. Cette année, l’impression que je compile est forte. Nous quittons le boulevard pour nous plonger sur une départementale où seuls les phares des copains m’éclairent. Après quelques dizaines de minutes de route, nous arrivons au camping où nous plantons nos tentes à la lumière d’un vieux lampadaire. L’heure est à l’apéro, comme les soixante-douze à venir. Le froid se fait rapidement sentir, la fatigue aussi et nous ne faisons pas de vieux os…
Heureusement la météo est avec nous ce Samedi. La rosée du matin ajoute la fraîcheur nécessaire pour frissonner un peu et donner de la difficulté à la sortie de la tente. Raymonde est au sec sous l’auvent, au moins je n’aurais pas le cul mouillé. Didier a prévu d’ouvrir la route vers le château de Savigny-lès-Beaune, qui abrite une collection hétéroclite pour le moins étonnante. Nous y reviendrons. D’abord : La Route. Celle avec une majuscule en tête, celle où on ne peut pas se la prendre. Les Mobylettes ont le pouvoir de te transformer en gamin, rien n’est moins sérieux.On se double, on tente des freinages plus ou moins assumés, les cadres prévus pour emmener les ouvriers des trente glorieuses au travail ne comprennent rien à ce qu’il se passe. Ça se tortille sous les fesses, ça fait un peu peur, mais vu les vitesses atteintes ça fait surtout rigoler.
« La Route. Celle avec une majuscule en tête, celle où on ne peut pas se la prendre. Les Mobylettes ont le pouvoir de te transformer en gamin, rien n’est moins sérieux. »
Nous arrivons au château en milieu de matinée, et l’hystérie commence à monter à la vue du F16 qui trône entre un Mirage et un Alpha-Jet dans la cour. « Le mec a des avions de chasse dans son jardin », voilà. Alors que nous passons les portes du musée, nous découvrons que le châtelain est en fait une sorte d’épicurien s’intéressant à toutes sortes de moyens de locomotion. En témoigne l’incroyable collection d’Abarth de compétition, dont la plupart sont en état de marche et ayant courues. Dans la cour, deux tentes abritent des collections de camions de pompier et de maquettes grande taille d’engins spatiaux : fusée, satellite… C’est du délire.
Un peu assommés par ce que nous voyons, une magnifique collection sans queue ni tête, nous pénétrons dans le hangar “des machines viticoles d’autrefois”. Quelle blague, si on y retrouve bien une trentaine de tracteurs, on peut aussi y voir des calèches du Far-West mais surtout des moteurs d’avions. La chaleur monte face à un réacteur de Sabre. Le clou du spectacle sera de déambuler au milieu de la centaine d’avions de chasse plus ou moins cachés au fond du domaine. Il est intéressant de noter la diversité des aéronefs présents, des années ‘50 à la fin des eighties, et de toutes nationalités différentes. Toujours sensible au charme des Vampire, ça a été un réel plaisir que de voir en taille réelle les avions qui ont bercé mon adolescence lors des lectures de Buck Danny. « Le mec a des avions de chasse dans son jardin ».
Si jamais la visite de ce musée pour le moins atypique vous fait envie, nous vous conseillons aussi de manger au restaurant sur la place du village. Facile à trouver, il n’y en a qu’un. Posés à l’ombre des peupliers, où la fraîcheur de la fontaine est appréciable, nous nous régalons d’œufs meurette et d’un burger fait de produits locaux. Nous reprenons la route pour digérer au rythme des remous des suspensions molasses de nos bécanes.
Une vingtaine de kilomètres nous séparent de notre prochaine destination : Nuits-Saint-Georges. Les petites routes sont bonnes, le soleil de la fin de l’été est doux. On est bien. Quelques virages au milieu des vignes plus tard, on s’arrête sur les hauteurs de Pernand-Vergelesses pour admirer la vue sur la vallée. Le raisin termine de mûrir tranquillement sur les coteaux ensoleillés, ça nous donne envie de goûter son jus élevé en fût. En selle, nous avons fait mi-chemin entre le château et la cave où une dégustation nous attend !
Puisqu’on préfère se laisser la liberté d’aller où l’on veut, quand on veut, nous n’avons pas anticipé que les petites caves sont complètes. Heureusement, Didier nous sort sa carte Joker, et nous emmène à l’Imaginarium. L’endroit est qualifié de site œnotouristique moderne, abritant un musée interactif permettant d’en apprendre un peu plus sur l’art de la vinification. La visite d’une petite heure est constructive, mais les mises en scène kitsch nous emportent dans un fou-rire qui durera le double de temps. Aucun doute, c’est à faire à plusieurs. S’ensuit une dégustation où nos palais ont été mis à l’épreuve, et où la crise de rire continue lorsque Loïc compare un vin aux poutres en chênes fraîchement rabotées de sa maison. C’est certain, tous nos sens sont mis à l’épreuve.
On termine la journée par une promenade supplémentaire pour les autres, alors que Brice et moi préférons nous avachir dans des transats, au bord de l’eau bordant le camping, avec une pinte de blonde chacun en guise de compagnie.
Le week-end passe bien trop vite, et le réveil du Dimanche matin annonce déjà la dernière journée. Nous partons assez tôt vers Beaune, pour visiter les hospices. La fraîcheur se fait sentir, ça caille. Raymonde se traîne à un bon soixante km/h de pointe, mais elle tient bon. Cependant je commence à sentir comme un flottement de l’arrière alors que j’incline la petite bleue à l’orée d’un virage. Je m’en préoccuperai plus tard. La visite des hospices est une obligation pour qui se trouve dans la région. Les tuiles vernies et colorées dont la fabrication remonte au milieu du XVème siècle, ornent les bâtiments et donnent une saveur particulière à l’endroit. Le musée qu’il abrite partage la manière de soigner des siècles derniers, et on se dit qu’il n’aurait pas fallu se casser la gueule en Mobylette en 1500… Cherchez l’erreur.
Un dernier burger pour la route, et nous empruntons le chemin du retour vers Dijon. Raymonde est chargée dans le fourgon pour les derniers kilomètres, les roulements de roue ont rendu l’âme rendant la conduite dangereuse. Les dix kilomètres précèdant le camping m’ont donné l’impression de faire du rodéo, et je déteste l’équitation. Les routes que Léo nous fait emprunter sont vraiment chouettes. La départementale trente-cinq nous entraîne dans la vallée de Louche, et les virolos sont rigolos. Cette route est une bonne conclusion pour finir ce week-end à découvrir la région.
Que ça fait du bien de sortir un peu en 2020, de voir ses amis et d’aller rouler. Même si les belles discussions qu’un groupe de mecs peut avoir ont été remplacées par des choses plus adultes, les Mobylettes étaient là pour nous rappeler à l’ordre. Vieillir c’est dans la tête, j’espère qu’on restera jeunes et cons encore un bon moment ! Vivement l’an prochain, le désir d’aller voir l’Océan se fait de plus en plus sentir…