Texte & Photos : Yannick Valentin

Mardi 09 Août 2016. La tente est pliée, le coffre est plein, et le M10 chauffe. Le rendez-vous est fixé à Dunkerque, un poil avant 20h. De là, le ferry m’embarquera vers Douvres, en Angleterre. L’objectif est simple : rallier la pointe nord-ouest de l’Écosse, tout en s’autorisant quelques diversions. Le retour est prévu 10 jours plus tard, ce qui me laissera le temps de me perdre. Mais pour l’instant, il presse, et j’ai de la route : 550 km pour rallier Dunkerque depuis Strasbourg, et ma 315 trépigne d’impatience.

Je dois l’avouer, ce voyage avait aussi des airs de prétexte : difficile pour moi de le concevoir dans ma vieille Ford Fiesta, il lui fallait quelque chose de plus… mordant. J’ai donc déniché cette E21, bien peu puissante, mais loin d’être dénuée de charme. L’acolyte parfait pour ce road-trip. Je la connais depuis six semaines, ce sera l’occasion de voir ce qu’elle a dans les soupapes.

Premiers jours, traversée et Sud de l’Angleterre

Les autoroutes françaises, luxembourgeoises et belges, défilent aisément sous mes roues jusqu’à Dunkerque. Je m’installe dans le ferry, pour une petite heure de traversée. Sur l’eau, la sensation de glisser dans l’inconnu m’irradie. Je vois le continent disparaître derrière moi, plus de demi-tour possible.

En foulant le sol britannique, mon premier sentiment n’est pas l’extase provoquée par la beauté des fameuses Cliffs of Dover, mais plutôt l’inquiétude liée au bruit sur-dimensionné provoqué par l’échappement de ma BMW. Les vibrations du ferry ont certainement eu raison de son silencieux rouillé… une première galère qui s’annonce, mais il se fait tard. Je remets donc cette question au lendemain, et rejoins mon premier bed & breakfast pour passer la nuit.

Le lendemain, le soleil est là, le plein est fait, tout va pour le mieux. Tout, sauf cet échappement éventré, qui a fini par tomber sur le trajet jusqu’au B&B. Keith, mon hôte, m’offre son aide et m’accompagne dans la ville d’à côté, à la recherche d’une boutique pouvant remplacer mon échappement. Mais allez trouver un silencieux pour BMW E21 en magasin de nos jours… peine perdue, et pour cause, personne n’a ça en stock. Le hasard met sur ma route un minuscule garage de quartier qui saura peut-être me sortir d’affaire : je leur confie ma voiture. J’entends des coups, des bruits de disqueuse, le doute et l’interrogation s’installent. À tort, car 1h plus tard mes doutes sont écartés, l’échappement est réparé. Merci les gars.

Maintenant, direction l’Ecosse, avec un peu de chemin. 700 km me séparent de la frontière, avec beaucoup d’itinéraires sinueux, donc pas de temps à perdre. Il me suffira de quelques miles pour me convaincre : les routes britanniques sont parfaites. Étroites, souvent mal entretenues, sinueuses… de vrais générateurs de sensations. Sensations accentuées par la position de conduite de mon auto française, se mouvant sur le bord gauche de la chaussée : le mur est constamment frôlé, le bas-côté défile et mes poils se hérissent.

Les routes britanniques sont parfaites : étroites, souvent mal entretenues, sinueuses… de vrais générateurs de sensations.

Les routes britanniques sont parfaites : étroites, souvent mal entretenues, sinueuses… de vrais générateurs de sensations.

Sur le trajet, je prend une pause chez Classic Heroes, un garage spécialisé en vieilles BMW. Ces dernières remplissent le parking : 2002, E9, E30… ma 315 se sent alors un peu moins seule. J’en profite pour prendre quelques photos et papoter avec les mécanos. Je reprends ma route en contournant Londres par le sud, pour finir sous ma tente dans les alentours d’Oxford.

Au matin, la tente dans le coffre, je file vers le Nord. Les routes sinueuses se lissent peu à peu, jusqu’à se transformer en autoroutes. Leur monotonie rend le trajet un peu fade, mais le temps gagné me rapproche de mon objectif septentrional. J’atteins la frontière écossaise en fin de journée.

A82, Fort Williams & Ile de Skye

Vendredi, quatrième jour du voyage. Les autoroutes se dissipent derrière moi, je rentre dans le vif du sujet. L’air est froid, il pleut à fines gouttes et la brume est omniprésente : une météo que la plupart de mes contemporains trouveraient affreuse. Et pourtant, il s’en dégage une telle atmosphère que je ne peux que tomber amoureux de ce climat, et des paysages qu’il magnifie.

Passé Glasgow, je file sur la célèbre A82 en direction de l’Île de Skye. Célèbre, mais bien monotone, la faute à un trafic assez dense. Je me décide à prendre la tangente vers Portincaple, ancien port de pêcheur. Ici, la route est déserte et étroite, et le tracé vallonné en fait un vrai délice. L’A82 est vite retrouvée et longe désormais le Loch Lomond. Un regain de charme pour cette route qui ira crescendo jusqu’à son terminus.

L’A814

Première découverte de ce voyage : L’A814, petite route secondaire longeant le Loch Long entre Helensburgh et Arrocar. Assez classique sur le début, le tracé devient vraiment intéressant à partir de Portincaple, où la route se rétrécit en laissant disparaître sa ligne médiane. La visibilité est bonne et permet d’y prendre un réel plaisir, accentué par la topographie de la chaussée assez vallonnée.

Une sorte de montagne russe routière, embellie par une superbe vue sur le Loch du côté gauche.

Quelques kilomètres plus loin, la route prend la direction Ouest pour se diriger vers Glencoe. Un paysage spectaculaire se dessine, je rentre désormais sur le territoire des Highlands : les perspectives sont étirées, le panorama cinématographique. J’ai du mal à rester calme tant la beauté des paysages m’émeut, mais je dois garder le cap. Je continue entre les collines, fais une pause à Fort William et continue vers ma prochaine étape, l’Île de Skye. La route se glisse entre les lochs et les châteaux, sublimés par la brume.

Les perspectives sont étirées, le panorama cinématographique.

Les perspectives sont étirées, le panorama cinématographique.

Je traverse le Skye Bridge et foule des pneus ma destination. Malgré un paysage plutôt plat au premier abord, un regard au loin me suffira pour imaginer le potentiel montagneux de l’île. Je meurs d’envie d’en voir plus, mais pour l’heure, j’ai besoin d’un spot pour la nuit. Je furète dans le premier village, Kyleakin, et y trouve une auberge de jeunesse. L’ambiance est là : sac de rando, guitare folk, thé et feu de bois… mais elle a visiblement attiré du monde, et les dortoirs sont pleins. « Vous avez une tente ? » me lance la fille de l’accueil. Bingo, je passerai la nuit dans le jardin.

L’Île de Skye, bien connue pour ses reliefs escarpés et ses villages de pêcheurs m’attend. Le temps d’une petite douche, et me voici derrière le volant. À part le Quiraing au nord de l’île, je n’ai rien repéré à l’avance, la découverte sera totale. Je décide de faire le tour de l’île par l’ouest, en bifurquant à Sligachan. Les collines dévoilent peu à peu leurs roches et complètent le tableau dessiné par la route et ses abords marécageux.

À l’Ouest, les petites criques s’enchaînent, nouées à la brume, l’air parfumé par les distilleries de whisky. La route me mène jusqu’au phare de Neist Point, point le plus à l’ouest de l’île et spot idéal pour une petite pause. Coup de chance, une éclaircie m’offre une vue imprenable sur l’horizon et les îles voisines. Je reprends le volant et continue à travers les charmants villages bordant le chemin et passe le cap Nord de l’île en fin d’après-midi. La route redescend, et je bifurque à nouveau, vers le Quiraing, une formation rocheuse emblématique provoquée par de multiples glissements de terrain. L’esthétisme qui en résulte est époustouflant, et encore une fois, le paysage me laisse sans voix.

La nuit tombant, je redescends vers le Sud de l’île, et passe la nuit dans un camping au bord de la rivière Sligachan. Spot parfait, jusqu’au matin, heure du petit-déjeuner des moustiques des Highlands qui n’hésitent pas à lancer l’assaut sur le camping. Un réveil sportif donc : pliage de tente express et saut dans l’habitacle, miraculeusement épargné par l’infestation. Miracle bien bref, car je m’arrête en chemin pour aider un touriste coincé sur le bas-côté, à redémarrer sa voiture. Ce coup-ci, les moustiques n’ont pas laissé de chance à mon habitacle, et feront de la bombe d’insecticide ma meilleure amie du voyage. Heureusement, ce sera le dernier réveil de la sorte, je file vers le Nord. Je quitte l’Île de Skye pour rejoindre Ullapool, petit village situé à la moitié du chemin vers la pointe Nord-Ouest du pays. En sortant de l’île, je fais un détour par le péninsule d’Applecross.

Bealach na Bà

La baie d’Applecross est atteinte en traversant la montagne par le Pass of the Cattle (« Bealach na Bà » en gaélique écossais). Une route célèbre, et à juste titre, tant l’emprunter marque la mémoire. Sinueuse et étroite, la route s’enfonce dans une vallée de roches, et s’escarpe à l’atteinte du sommet, donnant une vue vertigineuse sur le Loch Kishorn. Une fois le point culminant atteint, la route se redresse et voit sa pente se réduire.
On traverse alors un superbe plateau bordé de roches, suivi par une descente progressive vers la baie. Le paysage est dégagé, et la vue magnifique, nous montrant une dernière fois la côte est de l’Île de Skye.

Après cette énième claque visuelle, et un café au bord de la baie, je continue mon chemin vers le nord. Les montagnes bordent mon chemin, et les routes de bords de mer vallonnées détendent encore mes vieux amortisseurs. Mon arrivée à Ullapool se fera en fin d’après-midi et sera l’occasion d’un rechargement de batterie pour l’équipe. Après 2000 kilomètres sans sourciller, la 315 a bien mérité sa douche, et moi aussi. Superbe petit village au creux d’une crique du Loch Broom, Ullapool m’accueillera dans son auberge de jeunesse au bord du loch, et m’offrira le meilleur burger qu’il m’ait été donné de déguster jusqu’alors.

Le Nord, Durness et talon-pointe au soleil

Ce lundi est un 15 Août comme on les aime : doux et ensoleillé. Un délicieux english breakfast l’inaugurera, avant de partir vers mon objectif : la pointe nord-ouest de l’Écosse. Au départ de Ullapool, la A835 reste très civilisée : deux vraies voies, une belle enrobée et un tracé assez droit. La vue n’en reste pas moins superbe, accentuée par le soleil, présent pour le premier jour depuis le début du voyage.

Plus j’avance, plus la route se brutalise. Le tracé s’enfonce encore une fois entre les montagnes. Passé le château d’Ardvreck je reste collé au bord gauche de la route pour un détour vers Stoer. Là, je rejoins progressivement le bord de mer, et fais la rencontre d’une route étroite et sinueuse. C’est elle qui m’apprendra à maîtriser le talon-pointe avec cette anémique 315, qu’il s’agit d’utiliser efficacement pour tenir le rythme.

B869

Troisième découverte routière du road-trip, cette B869 est un délice.

Se faufilant entre les maisons des petits villages, le paysage est rocailleux et verdoyant. Après Clashnessie, une portion longe la mer et donne à la route un air de calanques. La route s’entortille autour des roches et des lacs sur une bonne trentaine de kilomètres, en se dénivelant tout du long. Arrivé au bord du Loch a’ Chàirn Bhàin, la route se finit magistralement sur quelques pif-paf en légère descente. Grisant.

Après ce détour « sportif », je reprends la route principale, et traverse le Kylesku Bridge, autre découverte du voyage. Une pause photo s’impose, et permet à ma petite 315 de souffler un peu. Je continue ma route en direction de Durness, village à la pointe nord-ouest. Sur le tracé, le paysage oscille entre abords rocheux, vastes étendues montagneuses et lochs : la monotonie n’est clairement pas au rendez-vous et la route défile en un clin d’œil.

Une pause photo s’impose, et permet à ma petite 315 de souffler un peu.

Une pause photo s’impose, et permet à ma petite 315 de souffler un peu.

Passé Rhiconich, la route perd ses virages et se transforme en ligne droite. Je traverse alors une large vallée, où l’ampleur des monts me rend minuscule, perdu au milieu de cet ouvrage géologique. Mais je touche au but : Durness est au bout de la route. Là-bas, l’extrémité Nord-Ouest sera quasiment sous mes roues.

C’est au début de l’après-midi que j’atteins le village, prêt à être soufflé par les vents du Nord, et trempé par les embruns de l’Océan. Il n’en sera rien. La météo presque trop clémente pour cette localité m’offrira un spectacle balnéaire bien plus commode. Ici, une plage de sable fin borde une eau claire, entourée de petites falaises rocheuses, où se prélassent quelques touristes peu frileux. Un paysage inattendu qui me laisse un peu sur ma faim, malgré sa beauté. Je prends une petite pause, et visite la Smoo Cave, impressionnante grotte située dans la crique adjacente à la plage.

Je décide de regagner les montagnes qui me manquent déjà, et file vers le Sud. Ma descente s’amorce alors en direction d’Inverness. J’emprunte l’A838 et traverse une plaine encore une fois bordée de reliefs étourdissants. Un sentiment de nostalgie prématuré se réveille en moi, entrevoyant l’essoufflement de ce paysage pittoresque. Au fil du chemin, les vagues rocheuses se lissent, malgré quelques houles récalcitrantes, tandis que les rivages de la route s’urbanisent. Le dépaysement se dissipe, et le « connu » revient peu à peu.

Après 6 jours de voyage et plus de 2300 kilomètres, le retour est en marche. Mon ferry Douvres-Dunkerque est dans 4 jours. J’ai encore des choses à voir, et des paysages moins bruts à explorer. La civilisation est regagnée et je traverse les villes : Edimbourg, York, Oxford… Toutes superbes. Mais rien n’y fait, le souvenir de la brume et des lochs bordés de roche m’aveugle. Le sentiment d’en avoir loupés m’obsède.

C’était un repérage, l’Écosse me reverra.