
Il est des voitures qui ont plus de valeurs que d’autres, et on ne parle pas de l’aspect pécunier ici mais bien sentimental. Ces achats pour lesquels on éprouve une fierté à raconter l’histoire, l’art et la manière dont on a pu arriver à nos fins. Souvent plus gratifiants que ceux faits de manière standard. Ceux qui commencent par un morceau de calandre ou de phare entre-aperçu au détour d’une promenade et qui provoque immédiatement un “coup de sang” qui va de notre coeur à notre cerveau et nous oblige à s’empresser de laisser un mot gribouillé avec un numéro de téléphone sur le pare-brise. C’est aussi ceux qui commencent par un “la voisine de ma grand-mère a une vieille voiture comme tu aimes au fond de son jardin, tu devrais aller voir” lâché au détour d’une conversation…
Dans le cas de cette W115, c’est différent. C’est une troisième option : l’affaire de famille entre un grand-père et son petit-fils.
Paris 11e – 24 avril 1974
Milan se rend chez Como, l’iconique concessionnaire Mercedes parisien. A l’époque situé rue de Parmentier, aujourd’hui dans le 12e à deux pas de Bastille. Il se fait grâce et signe un bon de commande pour une flamboyante W115 dans un combo vert – intérieur camel des plus fameux.

Livrée le 5 juillet 1974, la belle Allemande dessinée par Paul Bracq va couler des jours paisibles dans le 11e arrondissement de Paris jusque dans les années 90. Milan est en retraite, c’est le départ pour la Serbie (encore dénommée ex-Yougoslavie à cette époque) et hors de question de rentrer sans la Mercedes.
Mais l’année suivante la guerre éclate et contraint Milan à la ranger dans le garage de sa maison de campagne vers Kraljevo, cachée sous plusieurs couches de couvertures.
Les années passent, la voiture ne sert plus. “C’est la tienne” répétait Milan pendant des années à son petit-fils Vladimir. Et ce dernier n’a pas oublié ces 3 mots.
Été 2013 : L’heure de la passation de pouvoir est arrivée.
La patience de Vladimir est enfin récompensée et il se voit remettre les clés de la belle. Et après 20 années passées au fin fond des Balkans, la W115 retourne en territoire conquis. Ces rues qu’elle connait si bien, celles de Paris.
Aujourd’hui encore, dans son jus, avec sa peinture et son intérieur d’origine, presque intacte comme à son achat en 74 elle arpente Paris avec Vladimir à son volant et elle compte bien faire de la résistance.
Merci à Vladimir pour ce moment (et pour la traduction).